Publication de la norme "ISO 24495-2 : Plain Language - Part 2 Legal communication". Cette norme fournit les règles, permettant de considérer qu’un document juridique est rédigé en langage clair. Voici un article de Romain Hazebroucq, ancien avocat, fondateur de l’agence Legal design RHVisuels, Rédacteur en chef de la RPPI.
Au début du mois d’août, un événement important a eu lieu dans le domaine juridique : la publication de la norme "ISO 24495-2 : Plain Language - Part 2 Legal communication" [1].
Cette norme fournit les règles qui permettent de considérer qu’un document juridique est rédigé en langage clair. Un document respectant l’ISO 24495-2 signale que l’information qu’il contient est facilement compréhensible et utilisable par son destinataire.
Attention, iI ne faut pas croire que cette norme se limite à la vulgarisation juridique, même si son titre parle de "legal communication". En effet, elle couvre potentiellement tous les types de documents juridiques, que le destinataire soit un particulier, ou un expert. Elle concerne ainsi les lois, les contrats, les jugements, mais aussi les mémos et notes juridiques, etc.
Cette norme est un tournant pour le secteur juridique. Avec elle, le langage juridique clair sort du registre des recommandations de consultants et d’agences spécialisées pour devenir un véritable référentiel international.
La norme officielle est disponible à l’achat, sur le site de l’AFNOR [2]. Elle est en anglais, mais l’AFNOR a soumis une version française à l’enquête publique début septembre. Nous devrions donc bientôt disposer d’une version française officielle.
Son objectif n’est pas de proposer des règles nouvelles pour pratiquer le langage clair, mais d’en homogénéiser l’essentiel pour tous les systèmes juridiques.
Elle se juche ainsi sur une pile de précédents qui avaient déjà imposé le recours au langage clair dans certains secteurs.
L’idée d’écrire clairement remonte à très loin. Tout le monde a en tête la citation de Nicolas Boileau « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » [3]. Elle date de 1674. Par ailleurs, de nombreuses associations sont nées au XXe siècle, surtout aux États-Unis, pour promouvoir l’usage du “Plain language”, généralement dans les documents administratifs.
Mais ce n’est qu’en 1998, aux États-Unis, que Bill Clinton concrétise l’idée d’imposer des règles précises de rédaction, en publiant un mémorandum sur le langage clair dans les écrits gouvernementaux [4].
En 2010, Barack Obama pousse un cran plus loin et promulgue la loi sur l’écriture claire [5], qui impose à toutes les agences fédérales d’utiliser une écriture accessible dans chacun de leurs documents. Les règles de rédaction auxquelles elles doivent se soumettre sont consultables sur le remarquable site internet plainlanguage.gov [6] (à ce jour encore, l’un des meilleurs cours d’anglais juridique).
Ce type d’initiative existe aussi en Europe. Ainsi, en 2017, la région Wallonie a publié un Guide des bonnes pratiques pour des documents administratifs clairs [7] (une référence en la matière).
Toutefois, dans chacun de ces exemples, il s’agit d’une autorité qui commande à ses administrations de faire évoluer leur façon de rédiger dans les documents qu’elles créent. Paradoxalement, les acteurs privés du droit ont mis plus de temps à s’intéresser au sujet.
Pour ma part, j’ai vu croître l’intérêt pour ce domaine au sein des cabinets d’avocats et des services juridiques avec l’arrivée du Legal design (inventé en 2014 à Stanford et débarqué en France autour en 2017). En effet, le langage clair fait partie de la panoplie du Legal designer aux côtés d’autres outils comme la typographie, la mise en forme, l’ajout de visuels, etc.
Elle déborde sur l’amont : comment concevoir le document, le structurer, qui consulter.
Elle déborde en largeur : comment rédiger, certes, mais bien mettre en forme aussi, voire ajouter des visuels.
Elle déborde sur l’aval : comment suivre et évaluer l’efficacité du document.
Cela se voit à la manière dont la norme définit de manière très large ce qu’elle entend par langage clair, dans son article 3.1 :
« Un document juridique dans lequel la rédaction, la structure, mais aussi la mise en forme sont si clairs que les lecteurs visés peuvent facilement :
trouver ce qu’ils cherchent,
comprendre ce qu’ils trouvent
et utiliser cette information »
C’est donc plus une norme qui définit ce qu’est un document Legal design qu’une norme qui se cantonne au langage clair. Bon, je concède, ce n’est pas comme si on parlait de dénominations de sciences dures. Les conflits de professionnels de domaines nouveaux au sujet de l’étiquette de leur chapelle, on s’en moque un peu.
Retenez juste que pour qu’un document soit considéré comme rédigé “en langage clair conforme à la norme ISO 24495-2” il va falloir faire davantage de choses que de se contenter de le rédiger en respectant quelques règles.
On ne peut pas se contenter de lire la norme ISO 24495-2 sur le langage juridique clair pour disposer d’une liste exhaustive des exigences à respecter. Il faut l’accompagner de la norme ISO 24495-1 sur les principes directeurs du langage clair [8].
Cette norme ISO 24495-1 (attention, il n’y a que le “1” qui change) est parue il y a un peu plus de deux ans en juin 2023. Elle fixe les “Principes directeurs et lignes directrices” du “ Langage clair et simple” et vise l’application du langage clair dans tous les documents, quel que soit leur domaine : scientifique, financier, juridique, etc.
Cette norme “mère” annonçait dans le texte qu’elle serait complétée par une série de normes “filles” sectorielles. Et la norme ISO 24495-2 qui fait l’objet de cet article (repérez le “2” à la fin), et qui concerne le langage clair dans la communication juridique, est la première de ces filles.
D’autres normes “filles” seront publiées. Ainsi, la norme ISO 24495-3 (notez le “3”) sur le langage clair dans la communication scientifique est en projet.
Comment s’articulent la norme “mère” et la norme “fille” ?
La norme “mère” ISO 24495-1 pose 4 principes fondamentaux. Un document en langage clair doit être pertinent, facile à trouver, compréhensible et utilisable :
Principe 1 - Pertinent : Les lecteurs obtiennent ce dont ils ont besoin. Les règles en soutien de ce principe se focalisent sur le lecteur et le contenu.
Principe 2 - Facile à trouver : Les lecteurs peuvent facilement trouver ce dont ils ont besoin. Là, les règles concernent la structure et l’organisation visuelle.
Principe 3 - Compréhensible : Les lecteurs peuvent facilement comprendre ce qu’ils trouvent. Les règles se concentrent sur la rédaction même et la vulgarisation.
Principe 4 - Utilisable : Les lecteurs peuvent facilement utiliser l’information. Les règles débordent sur l’évaluation de l’impact du document.
La norme “fille” ISO 24495-2, reprend à son compte les règles qui soutiennent ces 4 principes et les adapte au contexte juridique. Elle ajoute aussi des exigences spécifiques : sur les définitions, sur la différence entre être volontairement vague et imprécis, sur les différents types d’ambiguïtés…
Un exemple de règle que vous retrouverez dans cette norme :
« 5.3.2 Choisir des mots familiers et juridiquement exacts
Une communication juridique claire profite à tous les lecteurs. Les auteurs de documents juridiques écrivent souvent en pensant aux litiges. Ils ont donc tendance à utiliser des mots et des expressions tirés de lois, de règlements ou de précédents judiciaires et d’expressions formalistes. Les termes latins, les expressions anciennes et inutilement répétitives contribuent à compliquer le langage, baptisé "jargon juridique".
Bien que les professionnels du droit comprennent généralement le jargon juridique, beaucoup ne le comprennent pas, tout comme les lecteurs non experts. Il convient que les auteurs suivent les lignes directrices ci-dessous pour donner la priorité à la clarté et à la précision :
a) Utiliser des mots et des expressions familiers pour le public cible.(…) »
Cette complémentarité entre les deux normes est signalée par les auteurs dans la check-list finale, qui figure en annexe de la norme ISO 24495-2, et qui rassemble les 35 exigences qu’un document doit respecter pour être conforme.
Parmi ces 35 exigences :
15 sont reprises de la norme ISO 24495-1. Il faut donc se référer au contenu de cette norme pour en connaître le détail.
20 sont issues de la norme ISO 24495-2 elle-même, et donc spécifiques aux documents juridiques.
Extrait de la check-list des 35 exigences qui figure à la fin de la norme ISO 24495-2.

Les premières règles sous ce principe invitent les auteurs à identifier les utilisateurs, leurs objectifs et dans quel contexte ils liront le document.
Ces règles sont un grand classique de la démarche Legal design. À ce titre, le Legal design ne fait qu’adapter au droit des techniques posées par le design thinking, cette méthode de résolution des problèmes qui a donné l’iPhone notamment. La démarche sous-jacente est de repartir de l’utilisateur et de son besoin pour définir ce qu’un produit doit lui apporter. Sans égard pour l’orthodoxie et les habitudes.
Cette démarche, c’est la partie la plus puissante du Legal design. Elle aboutit à construire des conclusions sous Excel, se débarrasser des articles dans les contrats ou bannir le mot “consultation”, etc.
C’est en même temps la partie qui génère le plus de rejet de la part des professionnels du droit, tant elle les éloigne de l’image du “vrai” travail juridique et sonne, parfois, “bullshit”.
C’est donc un grand service que l’ISO rend aux consultants tels que moi et aux promoteurs du Legal design dans les cabinets d’avocats et les services juridiques. En effet, elle fait de cette phase d’analyse, trop souvent boudée, une obligation pour qu’un document soit conforme. Le tout est de pouvoir documenter cette démarche pour prouver qu’on l’a appliquée.
Les règles qui suivent rappellent qu’un document ne doit contenir que les informations pertinentes au regard des objectifs et du contexte identifiés dans la démarche d’analyse de l’utilisateur.
Enfin, d’autres règles préconisent d’impliquer dès le départ, non seulement, les professionnels du droit, mais aussi, les experts en langage clair et, si besoin, en conception juridique.
Là, par contre, on retrouve la patte des consultants qui faisaient partie du groupe de travail de l’ISO (et, certes, dont je fais partie). Ils ont réussi à suggérer que le recours à leurs services pourrait être une condition de conformité. La ficelle est un peu grosse…
Les règles sous ce principe insistent sur l’importance de structurer les documents juridiques pour que les lecteurs repèrent facilement l’information.
La norme reprend à son compte des grands classiques des bonnes pratiques du langage clair. Par exemple, des titres autoportés, qui contiennent la conclusion des paragraphes qu’ils annoncent, parfois sous forme de questions simples.
Ou des petites synthèses au début de chaque section.
Elle aborde la structure visuelle (l’un des terrains de prédilection du Legal design), même si elle reste très générale sur le sujet. Par exemple, les éléments clés doivent être mis en évidence (via des schémas, des colonnes, des encadrés).
Plus intéressant, la définition de ce qu’est une “information critique” qui doit ressortir.
Le document qui se veut ISO 24495-2 doit aussi limiter les renvois à d’autres textes. Les conseils sur cette partie sont nombreux et pertinents.
Enfin, la norme encourage la création d’une numérotation hiérarchisée. Je partage moins ce conseil. En effet, une numérotation avec trop de niveaux contredit certaines bonnes pratiques d’UX (User experience).
Les règles sous ce principe visent la clarté du langage. Elles correspondent à l’idée qu’on se fait du langage clair, dans son acception restreinte.
Les auteurs doivent préférer des mots familiers mais juridiquement exacts, éviter le jargon et définir les termes techniques, de préférence au moment où ils apparaissent et pas regroupées dans un article “Définitions” au début du document. Ils doivent aussi expliquer les sens particuliers de certains mots en droit.
Rien à redire sur le fond : ce sont de bonnes pratiques de vulgarisation, surtout en ce qui concerne les définitions dans les contrats.
Toutefois, en les mélangeant avec les autres conseils, la norme entretient la confusion entre langage clair et vulgarisation. Les deux sont différents. On peut écrire un document en langage juridique clair, sans qu’il soit vulgarisé. La vulgarisation est une surcouche que l’on applique dans un second temps, à un document par ailleurs rédigé en langage clair.
Puis la norme assigne un rôle aux graphiques, tableaux, listes ou schémas, qui doivent venir en support du texte, mais pas le remplacer.
Elle invite à maintenir une parfaite cohérence terminologique, notamment, en s’autorisant à faire des répétitions.
Enfin, on retrouve quelques obsessions de juristes anglo-saxons, pour qui la lettre du texte prime, dans les contrats notamment. Ainsi, la norme concède que, parfois, une certaine imprécision peut être justifiée (par exemple dans une loi à préciser ultérieurement), mais elle doit être maîtrisée. Et les dernières règles traitent des différents types d’ambiguïté (lexicale, syntaxique et contextuelle…).
C’est la partie la moins réaliste de la norme ISO 24495-2. On sent que les rédacteurs ont eu toutes les peines du monde à s’emparer des idées que proposait la norme “mère” ISO 24495-1, en soutien à ce principe.
Et leur peine se comprend : ces règles débordent largement la rédaction en langage clair. Elles empiètent sur le domaine du process, voire du marketing produit, en se focalisant sur les questions de l’évaluation des documents.
Pour qu’un document juridique soit conforme à l’ISO, il faudrait que les auteurs aient testé et amélioré le texte tout au long de sa rédaction. Après publication, la norme préconise de réaliser des évaluations régulières pour vérifier que le document est bien utilisé comme prévu et qu’il répond aux besoins identifiés.
Mais comment évaluer que des statuts de société qu’on a rédigés ont été utiles ? Qu’une consultation a atteint son but ?
Le problème, c’est que la culture du KPI (Key Performance Indicator) est quasi inexistante chez les juristes, qui considèrent qu’ils ont déjà assez de travail pour produire le document.
En vérité, avec un peu d’astuce, un juriste peut respecter ces règles sans trop changer ses habitudes. Surtout, se poser la question du KPI pour le document qu’il produit, c’est très sain, surtout au tout début, au stade de l’analyse du besoin utilisateur.
Voilà des exemples de ce que l’on peut faire avec la norme ISO 24495-2 :
L’utiliser comme référentiel dans vos conclusions pour montrer qu’un acte ne respecte pas une obligation légale de clarté (les politiques de confidentialité, les CGV, les notices de médicaments…).
L’utiliser pour critiquer objectivement la clarté d’un contrat ou de conclusions adverse et ainsi montrer une intention de tromper ou une intention dilatoire.
L’utiliser comme argument commercial pour votre cabinet, sur votre site et dans vos appels d’offres.
L’utiliser pour faire la promotion du service juridique dans votre boîte (et en finir avec les “on ne comprend rien avec ce qu’écrit le service juridique”).
L’utiliser dans vos appels d’offres de prestations juridiques comme exigence à remplir.
L’utiliser sur un document particulier, pour encourager à sa lecture (“Notre convention collective est certifiée ISO 24495-2 !”)
L’utiliser comme un outil de management pour homogénéiser la rédaction dans un service et gagner en temps de relecture.
En effet, pas de label, pas de tampon officiel pour prouver qu’on respecte les principes de la norme ISO sur le langage clair juridique.
Pour qu’il y ait certification, il faut qu’une entreprise privée ait détecté que ça intéresserait des entreprises de payer pour avoir un tampon “Conforme ISO 24495-2”.
Concrètement, si ma société voulait devenir organisme certificateur pour cette norme, il faudrait que je rédige un processus de certification (qui respecte la norme ISO 17065), et que j’obtienne le sceau du COFRAC pour cette certification.
Donc impossible, pour l’instant, de brandir un certificat officiel “cabinet conforme ISO 24495-2” dans votre communication ou “document conforme ISO 24495-2”.
Il va falloir, dans un premier temps, documenter la démarche :
1. Créer une documentation : créer et diffuser une charte interne de rédaction, des guides, des matrices de “couches” pour certains documents récurrents. Mais aussi les processus de conception et de vérification après livraison des documents.
2. Conserver des échantillons : sélectionner quelques mails, contrats, consultations ou conclusions rédigés récemment et anonymisés pour vérifier si les principes ISO sont respectés.
3. Réaliser régulièrement des tests ou des exercices pratiques au sein du cabinet et former les équipes
4. Se faire auditer par un tiers expert en langage clair par exemple, sur les 35 points de la check-list finale de la norme
Au final, si vous êtes familier des techniques de Legal design, ou promoteur du langage clair dans votre organisation, les recommandations de la norme ISO 24495-2 vont vous paraître assez classiques.
Quand j’ai commencé à former au Legal design, il y a quelques années, le langage juridique clair n’était pas pris au sérieux. On confondait langage clair et vulgarisation. On pensait que c’était fait pour de la com’, pour être "pédago", pour arrondir les angles. Bref, c’était mignon, pas professionnel.
Désormais, le langage juridique clair devient une norme internationale. Et ça, c’est une opportunité énorme pour celles et ceux qui veulent convaincre en interne de mettre en place des processus propres à ce sujet.
Et si quelqu’un de l’université lit ces lignes… Youhou ! Ça devrait vous concerner aussi.
Cet article est tiré de la newsletter https://legaldesigntips.substack.com/